Alors que dans les années 70’ on dressait les chiens de façon traditionnelle, c’est-à-dire avec des méthodes inspirées du dressage militaire des chiens de guerre, la fin des années 80’ marqua un tournant important dans l’approche globale du dressage.
Au lieu d’obliger le chien à obéir en le forçant à prendre la position désirée avec l’aide des mouvements de la laisse créant une tension sur le collier (coup de collier), ou de dominer le chien physiquement parlant, certains commencèrent à utiliser des méthodes dites douces, modernes ou naturelles.
La méthode SIRIUS®
Le vétérinaire béhavioriste Dr Ian Dunbar élabora cette approche dans laquelle l’éducation du chiot se faisait progressivement avec l’aide de nourriture comme récompense. La nourriture servait de leurre pour faire asseoir ou coucher un chiot, en plus de servir de motivation. Afin de favoriser un apprentissage rapide, l’utilisation du « shut » lorsqu’il faisait une erreur ou devait cesser un comportement était aussi utilisé. Cette technique d’approche béhavioriste associant récompense et punition dans un timing précis était la première méthode positive enseignée au public général, ici au Québec.
La méthode du clicker
Encore une fois au Québec, le début des années 90’ vit apparaître l’entraînement au clicker par Jean Donaldson, qui avait son école d’obéissance à St-Lazare, Québec. Ce petit boitier ayant la propriété d’émettre un son constant et précis, favorisait l’apprentissage en marquant clairement un élément précis du comportement. Le chien faisait l’association du bruit et de l’action assez rapidement pour que l’apprentissage soit rapide et durable. On pouvait plus facilement façonner (shaping) les séquences d’un comportement précis. Le son du clicker était aussi associé à un autre son pour signifier au chien qu’il se trompait et qu’il était sur la mauvaise voie. Ce son était le plus souvent émis par l’utilisateur avec sa voix.
La méthode naturelle
À cette même époque, en France cette fois, Joseph Ortéga développait l’École du Chiot© et la méthode dite naturelle. Inspirée d’observations des comportements du loup, du moins selon M Ortega, la méthode naturelle préconisait, un peu à la façon Sirius®, l’utilisation de la friandise pour leurrer le chiot et lui apprendre des comportements précis. Le but étant de construire un lien amical entre le chiot et son propriétaire, la punition proprement dite était exclue.
La punition a-t-elle sa place en méthode dite douce, moderne ou naturelle?
Que doit-on penser de la punition? Je parle du « shut » de Dunbar ou du « son négatif » émis par l’utilisateur du clicker? Pourquoi certains professionnels interdisent-ils aux propriétaires d’intervenir pour signifier au chien que son comportement est inacceptable? Doit-on donner un « permis de tout faire » au chien simplement parce qu’on utilise une approche ou une méthode dite positive? Ce manque d’intervention « négative » par le propriétaire lorsque son chien déconne, est-ce une simple preuve de l’incompréhension réelle de la psychologie du chien? Est-ce la pointe de l’iceberg du syndrome du chien-roi?
Pour répondre à ces questions, revenons aux bases mêmes de ce qu’est un chien.
Les études ont démontrés que l’éthogramme du loup était différent de celui du chien de compagnie et que les comportements « loups » n’étaient donc pas aussi « chiens » qu’on le croyait. Si elle s’inspire de l’observation du loup, la méthode naturelle est-elle LA meilleure approche? L’éducation des louveteaux est-elle similaire à celle des chiots? L’éducation du chien et du loup est à la fois similaire et totalement opposée.
Alors que dans la nature la meute est constituée d’un couple et de leurs rejetons, qu’une seule portée par an naît et que l’éducation de la nichée peut s’étendre sur plusieurs mois, pour le chien c’est différent.
L’éducation du louveteau est reliée au changement hormonal de celui-ci. Tant qu’il est chiot, il est considéré par les adultes comme un bébé et ils sont plus indulgents et patients avec lui. Par contre, dès qu’il amorce son premier changement hormonal, nommons-le l’adolescence, il perd ses passe-droits et les adultes commencent à le réprimander et à lui imposer une certaine discipline. Les bouffonneries de chiot ne sont plus tolérées.
C’est la même chose chez le chien, mais l’éducation plus stricte est exigée en ce sens qu’on lui impose dès l’âge de 8 semaines de faire pipi à un endroit précis, de venir au rappel, de s’asseoir, etc. L’éducation est plus précoce et plus rapide chez le chiot que chez le louveteau. L’adolescence apparaît souvent plus tôt que chez le louveteau. Le chiot ayant été séparé de sa mère souvent trop tôt, elle n’a pas pu lui enseigner plus que le strict nécessaire. Le propriétaire doit donc prendre la relève et enseigner au chiot la discipline, le respect et la contrainte.
Porter un collier, porter un harnais, porter un licou, être retenu par une laisse, devoir rester dans un périmètre donné (cage, enclos, parc), devoir obéir (assis, couché, debout, au pied, viens), ne pas aboyer, ne pas tirer en laisse, attendre assis patiemment quand on pose la gamelle de nourriture au sol…. ce sont tous des contraintes que l’on impose au chien de compagnie. Bref, le chien ne peut pas faire ce qu’il veut, quand il veut. C’est le propriétaire qui gère tout.
Comment se fait-il qu’en éducation sans contrainte, on voit de plus en plus de chiens qui démontrent de nombreux signes d’anxiété, d’évitement, d’attitude basse (soumis)? Comment se fait-il qu’il y ait autant de chiens dont les propriétaires n’ont aucun contrôle (chien ne revient pas au rappel, saute, refuse toute contrainte)?
Le terme éducation sans contrainte est malheureusement incompris par trop de gens. En fait, le terme est mal choisi. Contraindre veut dire obliger, aider le chien à faire quelque chose. Le simple fait de retenir le chien près de soi à l’aide d’une laisse est une contrainte pour le chien qui veut juste jouer, batifoler ou courir. Le simple fait d’attendre que le chien produise le comportement désiré pour cliquer, est une contrainte, puisqu’il est retenu dans un périmètre restreint (une pièce de la maison, une longe, une laisse). À mon sens, l’éducation sans contrainte est une simple utopie. On leurre l’utilisateur. On lui donne l’illusion de la non contrainte parce qu’il utilise un clicker ou une friandise. Mais pensez-y un peu. Le chien est « obligé » de faire quelque chose s’il veut obtenir une friandise!!! Obliger ou contraindre, quelle est la différence?
Ce fait étant établi, revenons à l’approche globale de l’éducation. Éduquer signifie enseigner ou guider. Le propriétaire doit donc guider son chien vers la bonne réponse et lui enseigner les bonnes manières, l’obéissance et le respect mutuel. Dans cette optique, le chien doit apprendre à respecter la bulle du propriétaire, des autres humains et des autres chiens. Il doit apprendre comment les approcher, comment entrer en contact, comment jouer et comment parler chien et humain (il apprend à décoder le langage corporel et verbal de l’humain).
Le propriétaire qui refuse la discipline et l’encadrement, ne peut pas obtenir un chien calme, attentif, obéissant et poli. L’idée n’est pas de faire un chien-machine qui obéit au doigt et à l’œil, mais d’obtenir une relation saine sans chamaillerie, sans mésentente, sans problème de communication. On doit respecter le chien, mais il doit aussi nous respecter!
L’éducation doit se faire sans violence. La violence implique la brutalité ou la cruauté. Les colliers à chocs, à vibrations, à jets, qui augmentent le niveau d’anxiété d’un chien sont à proscrire. L’utilisation dans ces circonstances devient de la cruauté puisque le bien-être du chien n’est pas recherché. Les colliers (licous, harnais) mal utilisés ou mal ajustés sont source de blessures et d’inconfort et deviennent donc aussi de la cruauté. Inutile de pointer uniquement l’étrangleur ou le collier à pics comme étant des outils de torture! Ces attributs désignés comme archaïques ne sont pas les seuls qui peuvent blesser gravement un chien. Je peux vous dire que j’ai vu des dizaines de chiens avec des plaies sous les aisselles ou des épaules désaxées suite à l’utilisation de harnais, des blessures au cou avec un simple collier plat, des blessures au museau avec un licou. Tous les accessoires peuvent causer inconfort, douleur, blessure… s’ils sont mal utilisés ou mal ajustés!
L’éducation sans violence n’a rien à voir avec l’outil ou l’accessoire utilisé ou non utilisé. L’éducation sans violence se fait uniquement dans le respect de tous les individus impliqués : chien, propriétaire et enseignant.
Pas besoin de gueuler comme un fou, le chien n’est pas sourd. Pas besoin de faire de la lutte ou de la boxe, ça ne fera que rendre le chien peureux, voir agressif. N’oubliez jamais que la violence physique engendre la violence physique. Pas besoin d’arracher la tête du chien ou de le pendre pour qu’il écoute. Inutile de jouer les videurs de bar avec un chien. La notion du toi Chien doit obéir à moi Homme dans un concept de Chien dominé par Homme dominant est une grave erreur et prouve uniquement notre incompréhension du chien et de ses besoins.
Éduquer sans violenter, voilà le réel fondement de l’éducation positive, désignée aussi comme une approche éducative douce, moderne ou naturelle.
Quelles sont les limites de l’éducation dite douce, moderne ou naturelle?
Quand on comprend bien la pyramide de Maslow, on s’aperçoit qu’il est inutile de penser utiliser la friandise avec un chien en phase peur réelle ou avec une forte anxiété. Quand il a peur, le chien se fige ou cherche à fuir. S’il se sent pris au piège, il peut attaquer. L’instinct de survie prédomine sur le besoin alimentaire. Lorsque le taux de peur ou d’anxiété est moindre, la friandise pourra être acceptée par le chien, mais souvent avec des effets secondaires néfastes au niveau digestif. Manger sous stress cause des troubles de la digestion.
Le chien anxieux ou peureux doit d’abord être rééquilibré. Le chien anxieux est instable émotionnellement parlant. Il a besoin d’être cadré dans un environnement stable qui lui procurera des points de repère fixes en évitant les horaires variables, en déjouant les extrêmes (sports, exercices, obéissance, caresses, etc) et en favorisant le développement de sa confiance en lui. La friandise entrera en jeu uniquement après la stabilisation.
Mal utilisée, la friandise devient vite un piège comportemental. Le chien désobéit pour obtenir sa friandise. La friandise devrait être utilisée de façon aléatoire et non systématique. Le chien est, d’abord et avant tout, un animal social. Il recherche le contact social. Ce contact lui est offert par l’attitude corporelle et la voix de son propriétaire. Plus le propriétaire sera expressif et enjoué avec son chien en mode récompense, meilleure sera l’attitude du chien et son apprentissage. L’ajout de la punition verbale augmente la rapidité d’apprentissage uniquement si punition et récompense sont offertes au bon timing! Lorsque le timing est déficient, qu’arrive-t-il? Soit le niveau d’anxiété du chien monte ce qui diminue la vitesse d’apprentissage et de mémorisation, soit le chien déconne parce qu’il ne vous prend pas au sérieux et vous oriente vers le jeu, soit il décroche tout simplement et ne se préoccupe plus de vous.
Sans encadrement du chien, sans règles de vie à respecter à la maison et en laisse, sans contrôle réel du chien, c’est la débandade. Le propriétaire se retrouve avec un chien saute, fait le bouffon, se sauve, ne revient pas au rappel… bref un chien-roi. Il décide de faire ce qu’il veut, quand il veut.
Le laxisme en éducation devient un problème. Les gens sont passés du tout au tout, du noir (traditionnel) au blanc (laxisme). Ils ont peur du jugement, peur de passer pour un arracheur de tête s’ils disent non au chien. Ils ont peur d’utiliser un collier, peur de poser des limites. Cet extrême de la vision positive de l’éducation devient une nuisance pour le bien-être du chien. On se retrouve avec de plus en plus de délinquants abandonnés et de chiens anxieux. C’est du moi mon constat. C’est ce que je vois depuis quelques années avec mes clients. On veut être plus doux et on devient gâteux. On oublie qu’un chien reste un chien. Qu’il a des besoins physiques, psychologiques et émotionnels qu’il faut combler, de manière logique et équilibrée.
Pour éduquer son chien, il faut du temps, de la patience, du savoir-faire, de la constance, du discernement, de l’intelligence et, surtout, la bonne attitude. Le chien a besoin d’un guide (leader) et non d’un dominant (chef de meute). Il a besoin de compréhension, mais pas d’une maman/papa gâteau qui lui passera tous ses caprices et le considérera comme son bébé.
Publié le 3 octobre 2015 sur johanneparent.over-blog.com
Auteur : Johanne Parent